Parlons montagne

Territoires de Savoie : Aravis et Beaufortain

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Les massifs des Aravis et du Beaufortain ne partagent pas seulement une rivière, l’Arly, ces deux « montagnes à vaches » attirent des sportifs toute l’année et ont sur garder une identité forte, symbolisée par deux fromages, le reblochon et le beaufort. Bienvenue au pays des lacs et des alpages !

L’Arly prend sa source à Megève. La cité pionnière des sports d’hiver a été plus récemment le creuset de la haute-gastronomie montagnarde grâce à l’illustre « homme au chapeau noir », Marc Veyrat. Son inspiration, le natif de Manigod l’a toujours puisée au cœur des Aravis. C’est ici qu’il a réalisé le trait d’union entre la vie à la ferme et la grande cuisine. Au col de la Croix-Fry, il a même créé son dernier restaurant sur le modèle d’une ferme autarcique, « La Maison des Bois ». Le fameux col doit son nom à une pierre sacrée, qui date de l’antiquité et qui aurait été bénit par Saint-François de Sales lors de son passage en 1607. La Croix-Fry est aussi la porte d’entrée sur un lieu non moins sacré pour les locaux, le plateau de Beauregard. Pour y accéder, il faut s’élever au-dessus d’une forêt d’épicéa par une large piste. La vue des premiers chalets orientés vers l’enfilade de crêtes calcaires des Aravis présage de la proximité des alpages. En bordure du plateau et de ses pâturages, s’étirent plusieurs tourbières d’altitude, des milieux menacés qui abritent une grande biodiversité, comme Drosera rotundifolia, une plante carnivore protégée. Au-dessus du lieu-dit des Folières, les landes à rhododendrons sont habitées par

  • le tétra lyre, l’emblème du plateau. Pour préserver ce joyau, soixante-dix-huit hectares ont ainsi été classés site Natura 2000 et protégés par un arrêté préfectoral de protection de biotope. En hiver, quand les vaches sont rentrées à l’étable et que la neige recouvre les alpages, l’immensité blanche devient le paradis des activités nordiques. En ski de fond ou en raquettes, le tour du plateau offre, en fonction des secteurs, un point de vue sur les plus beaux sommets des alentours : la chaîne du Bargy, le mont Lachat, la Tournette, la chaîne des Aravis, sans oublier le majestueux mont Blanc qui s’élève au-dessus du col des Aravis. Une petite montée jusqu’à la pointe de Beauregard permet d’accéder à un magnifique belvédère qui offre une vue à 360 degrés. En été, le son des clarines résonne dans les alpages. Les traditionnels chalets reprennent vie. Quelques fermes, comme celle de Lorette, ouvrent même leurs portes aux curieux pour assister à la traite des vaches et à la fabrication du fromage. Le reblochon fermier que tous ici fabriquent deux fois par jour après la traite, est la véritable star.

La passion du reblochon

Fabrication du fromage, passage du tranche caillé.jpg L’origine du reblochon remonte au treizième siècle dans les alpages des Aravis. Son nom vient de « re-blocher » qui signifie « re - traire » les vaches. Cette seconde traite était faite en cachette. En effet, chaque paysan devait payer une redevance aux propriétaires terriens indexée sur la production de lait. Alors pour frauder, ils ne déclaraient pas tout et gardaient quelques fromages de côté. Depuis 1958, le reblochon est protégé par une appellation d’origine contrôlée - et une appellation d’origine protégée au niveau européen - qui dicte sa fabrication. Comme chaque année, Sandra et Pierre Angelloz-Nicoud quittent leur ferme de Saint-Jean de Sixt en juin pour rejoindre les alpages du col des Aravis à La Giettaz avec une quarantaine de vaches : « nous transhumons avec quatre Tarines et 36 Abondances. Pour faire du reblochon nous avons le droit d’avoir 3 types de vaches parmi les Montbéliardes, les Abondances et les Tarines ». La zone de production se borne aux montagnes de Haute-Savoie avec pour seul exception côté savoyard, le Val d’Arly. Le reblochon fermier est fabriqué avec le lait d’un seul troupeau, directement après la traite, deux fois par jour : « on ne doit pas refroidir, ni réchauffer le lait pour ne pas altérer la qualité : le lait doit être cru et entier ». Un travail « passion » que Sandra et Pierre effectuent 365 jours par an, à la ferme « du bas » et en alpage. Après le caillage, et le passage au tranche-caillé, les fromages sont formés à la main avec une toile de lin dans des moules. Chacun est estampillé d’une pastille verte, gage de qualité. Le reblochon est ensuite pressé et égoutté grâce à un poids en inox avant de passer dans un bain de saumure. Il sera ensuite séché et retourné tous les jours sur une planche en épicéa pendant une semaine et passera trois autres semaines dans une cave d’affinage avant d’être prêt à déguster. Nous sommes mi-septembre, et Sandra prépare déjà sa vingt-cinquième transhumance d’automne, avec presque un mois d’avance : « La saison a été particulièrement sèche cette année, il n’y a plus grand-chose à manger à l’alpage, alors nous allons descendre les vaches plus tôt pour qu’elles profitent de l’herbe qui a bien repoussé à côté de notre ferme à Saint-Jean-de-Sixt ».

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Le Beaufortain, terre promise des athlètes de haut-niveau

De l’autre côté de l’Arly, le Beaufortain dévoile ses lacs et ses alpages à perte de vue. Comme le dit William Bon-Mardion, gardien du refuge de Plan de Lai, sous le Cormet de Roselend : « ici les vaches peuvent aller sur chaque montagne ». On croise les belles Tarines jusqu’au pied de la crête de Roches Merles, à une dizaine de mètre de quelques bouquetins en train de ruminer et d’un gypaète barbu s’élevant dans les airs. Le massif ne culmine qu’à 2920 mètre avec l’Aiguille du Grand Fond, mais offre une grande variété de milieux et d’espèces. On peut par exemple y observer au début de l’été, le Sabot de Vénus, belle orchidée protégée, dans les sous-bois au-dessus de Beaufort. On peut aussi entendre le chant métallique du lagopède alpin dans les faces nord de quelques arêtes rocheuses. Mais ce qui fait l’ADN du Beaufortain, ce sont ses alpages. Les glaciers ont d’abord façonné les roches sédimentaires et schisteuses du massif en adoucissant son relief. Et les hommes ont ensuite ouverts de vastes pâturages pour leurs troupeaux. Des vaches pour la plupart, et des Tarines de préférence, avec leur belle robe brune et leur cils fardés. L’été, les sportifs, qu’ils soient cyclistes ou vététistes, randonneurs ou traileurs, profitent aussi de cette géographie accueillante. Après les premières neiges, entre le refuge du nant du Beurre et le Cormet d’Arêche, les alpages se transforment en steppes sauvages surmontées de quelques crêtes calcaires qui invitent à l’exploration. Ce n’est pas un hasard si la région est le creuset du ski de randonnée. C’est ici qu’est né en 1986 la course mythique de ski alpinisme, la Pierra Menta, nommée ainsi en l’honneur du monolithe emblématique de la région. Les meilleurs athlètes mondiaux de la discipline comme Xavier Gachet, William Bon-Mardion et Axelle Mollaret vivent ici. « D’avoir la Pierra Menta à la maison, depuis tout gamin on baigne dans le chaudron ! » plaisante William Bon-Mardion. Et cette course s’est vite imposée comme une référence et un véritable défi. Au programme, 10 000 mètres de dénivelé à gravir sur 4 jours avec des traversées d’arrêtes, des couloirs engagés et des passages techniques en forêt. Le ski de randonnée, c’est également la discipline phare des trailers pendant l’hiver. Kilian Jornet a fini troisième de la dernière édition de la Pierra Menta juste derrière William Bon-Mardion et Xavier Gachet. François d’Haene, quadruple vainqueur de l’Ultra Trail du Mont Blanc a quant à lui terminé à la sixième place. Le coureur a d’ailleurs décidé de poser ses valises à Arêche-Beaufort il y a quelques années pour y vivre avec sa famille et s’entraîner. Il a été suivi cette année par la légende de l’ultra-trail, l’américain Jim Walmsley, qui n’a qu’un objectif en tête, gagner l’UTMB (Ultra Trail du Mont Blanc). Il semblerait que la recette beaufortaine, qui consiste à varier les sports au fil des saisons, soit la formule gagnante pour la préparation des athlètes de haut niveau !

 

Texte de Sébastien PERRIER, accompagnateur en montagne, ethnobotaniste, journaliste

 www.montagnenature.com


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